Musique & propriété intellectuelle à l’ère du numérique : entre célébration et mutation


Le 26 avril 2025, à l’occasion de la Journée mondiale de la propriété intellectuelle, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a choisi de mettre la musique à l’honneur. Une thématique loin d’être anodine, tant les mutations du secteur musical, portées par les technologies numériques, interrogent les cadres juridiques existants.

Quelques jours plus tôt, les 14 et 15 avril, l’OMPI réunissait chercheurs, juristes et institutions pour un Dialogue de haut niveau sur l’impact des technologies émergentes – en particulier l’intelligence artificielle – sur la propriété intellectuelle. Les échanges ont souligné l’ampleur des transformations en cours, et la nécessité d’adapter les outils de protection des créations aux réalités technologiques et économiques du secteur culturel.

Dans ce contexte, il semble plus que jamais nécessaire de faire le point : comment ces nouvelles technologies influencent-elles la manière dont la musique est créée, diffusée et protégée ? Quels sont les défis juridiques posés par l’intelligence artificielle générative ? Et que peut apporter la blockchain dans la reconnaissance et la rémunération des artistes ? Autant de questions au cœur des mutations actuelles du droit d’auteur.

Une création musicale en mutation permanente

À l’heure où les plateformes de streaming favorisent une diffusion mondiale et instantanée, les genres musicaux évoluent à une vitesse inédite. Le reggaeton, la drill ou encore la K-pop connaissent une popularité sans précédent, portée par des communautés numériques transnationales. Cette évolution est double : elle concerne à la fois la circulation des œuvres, et les modes mêmes de création.

De plus en plus d’artistes s’appuient sur des outils d’intelligence artificielle pour composer, mixer ou interpréter leurs morceaux. Qu’il s’agisse d’assistants de production musicale ou de générateurs vocaux capables d’imiter des voix célèbres, ces technologies brouillent la frontière entre création humaine et production automatisée.

Mais qui détient les droits d'une œuvre musicale générée par IA ?

L’un des principaux enjeux juridiques posés par ces nouveaux outils réside dans l’attribution des droits. Si une œuvre est co-produite avec une intelligence artificielle, qui peut revendiquer sa titularité ? Le ou la musicien·ne qui a initié la démarche ? L’éditeur du logiciel ? Ou personne, si l’élément essentiel de création manque ?

Pour l’heure, les législations restent encore hésitantes. En France, l'œuvre doit résulter d’un apport intellectuel humain pour être protégée par le droit d’auteur. Cela exclut les créations entièrement générées par IA, mais laisse entière la question des œuvres hybrides, mêlant intervention humaine et automatisation.

Les travaux de l’OMPI visent justement à encourager une réflexion internationale sur ces nouvelles formes de création, afin d’éviter un vide juridique ou, à l’inverse, une prolifération de normes contradictoires.

La blockchain : une piste pour renforcer la transparence et la rémunération

Si l’IA soulève de nombreuses incertitudes, d’autres technologies émergentes pourraient au contraire faciliter la protection des œuvres. C’est notamment le cas de la blockchain, qui permet d’horodater de manière infalsifiable la paternité d’un contenu.

Certains projets visent à utiliser la blockchain pour enregistrer automatiquement les droits associés à une œuvre musicale (auteur, compositeur, éditeur, etc.) et déclencher leur rémunération lors de chaque écoute. Ces outils pourraient contribuer à une plus grande transparence dans la gestion des droits et à une rémunération plus équitable des artistes – à condition toutefois d’être largement adoptés par les plateformes.

Un cadre juridique à repenser collectivement

L’évolution des pratiques musicales oblige à repenser les équilibres traditionnels entre protection des auteurs, incitation à la création et accès aux œuvres. Les artistes et les professionnels du secteur appellent de leurs vœux des mécanismes plus simples, plus efficaces et mieux adaptés aux réalités numériques.

La Journée mondiale de la propriété intellectuelle 2025, comme le dialogue initié par l’OMPI, témoignent d’une volonté d’ouverture et d’adaptation du droit. Mais pour que ces évolutions profitent réellement aux créateurs et créatrices, encore faut-il que la réglementation suive, et que les usages professionnels intègrent ces nouveaux outils dans le respect des droits fondamentaux.

Les révolutions technologiques qui traversent le secteur musical ne se limitent pas à des considérations techniques ou esthétiques : elles bousculent aussi les fondements juridiques de la création. En rendant possible la génération d’œuvres par des machines ou la traçabilité infalsifiable des droits, elles nous obligent à repenser la manière dont la propriété intellectuelle s’exerce et se transmet.

Pour les artistes comme pour les juristes, ces évolutions sont porteuses de risques mais aussi d’opportunités. Risques d’effacement ou de contournement du droit d’auteur, mais aussi promesses de plus de transparence, d’équité et de reconnaissance.

L’enjeu, désormais, est de faire en sorte que les outils suivent les usages, et que le droit continue de jouer son rôle essentiel : garantir aux créateurs la maîtrise de leurs œuvres dans un environnement numérique en perpétuelle transformation.


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